Journal de recherche d’Éloi Desgrams, chapitre 2, p. 127

« J’y suis enfin. La dernière Légion… celle qui me fera le plus mal à décrire. Celle pour qui je pleure, pour qui je vis le deuil d’une existence. Les Humains. Nous sommes encore nombreux, nous sommes là depuis bien avant la grande corruption. Sédentaires, cultivateurs, tanneurs, gens de simples métiers. Mais ne vous méprenez pas… notre ancienneté ne nous offre aucun bénéfice. Nous n’avons pas échappé à la dépravation de nos terres. Les temps ont changé… Aujourd’hui, nous valons moins que le bétail. Des familles entières de légion humaine éduquent maintenant leurs enfants dans l’espoir qu’un jour où ceux-ci seront choisit par l’impératrice. Sacrifiant ainsi leur progéniture pour la convoitise d’une faveur de leur Reine. Aujourd’hui lorsqu’on demande aux enfants ce qu’ils rêvent d’être lorsqu’ils seront plus grands, ils répondent : Mort. Mort sous les dents acérées de leur précieuse reine. Certains se battent pour échapper à l’esclavage et refusent de se plier au règne de la monarchie. Des rebels exclus, pourchassés, un prix sur leur tête et qui, bien souvent, finissent morts pour quelques Crimsons. Les humains de notre temps ont été infectés par le pourrissement de notre monde. Ils sont vils, cruels et n’aspirent qu’à une chose : Servir leur Reine. Leur adoration dépasse l’entendement. Bien sûr qu’il y en a qui ont trouvé une façon de ne pas vivre dans la poussière ! Ils ont obtenu des faveurs avec d’autres Légions, sont devenus des partenaires d’affaires ou se sont rendus indispensables à des gens hauts placés. Mais ne vous leurrez pas, il faut avoir l’esprit et la parole extrêmement aiguisée pour réussir en tant qu’humain à Courbensaule. La corruption macère dans leurs entrailles qu’ils soient riches ou pauvres : des voleurs, des menteurs, pervers, meurtriers, dépravés… ils se complaisent dans leur misérable existence, qu’elle soit de fientes ou de soie. Une étrange capacité est née de ce pathétisme. Sans pouvoirs ni longévité, les humains ont la capacité de puiser dans la puissance de deux astres : celui de leur naissance et celui d’un de leurs ancêtres. Ils sont au bout de la chaîne alimentaire et ne vivent que pour servir plus haut qu’eux. N’importe quel esclavagiste peut vous ramasser en bord de chemin et vous marquer. Personne ne vous sauvera. Je sais, je manque de bons mots pour mon peuple. Mais j’ai peine à voir mon propre reflet. Je me sens, moi aussi, pourrir peu à peu de l’intérieur. Me vivifier et perdre ma lueur… le temps fera son œuvre. » Les seigneurs vampires, en plus de leurs pouvoirs défiant l’imagination, possèdent celui de transformer des humains en ces créatures sans morale. Après la mutation, la création est abandonnée par le vampire et est livrée à l’amnésie que cause la transformation. Les Vamnazûls ne se souviennent pas de leur vie de mortels ni de qui les a engendrés. À part les quelques sentiments de “déjà-vu”, il se réveille seul et sans identité, à présent éternel. L’immortalité a bien entendu ses conditions. Le Vamnazûl doit s’abreuver du sang d’un Seigneur Vampire minimum une fois par siècle. La non-conformité à cette loi vitale causera la mort définitive du Vamnazûl refusant de s’y soumettre. Mais ce qui nourrit réellement l’extase de ces bêtes sournoises, c’est le sang humain. Pouvant se nourrir de n’importe quelle légion, ils préfèrent de loin le goût enivrant du sang de la légion humaine. Le Vamnazûl est un prédateur et sa soif pour l’innocence est plus forte que tout. Son instinct lui dicte de le faire, de rejoindre cette exaltation cruelle en plantant ses crocs dans la peau douce des humains. Certains se contrôlent mieux que d’autres, mais je vous le dis, leur allure composée n’est qu’une ruse pour vous mettre en confiance. Ces monstres assoiffés ont pourtant bonne réputation en ces terres damnées. Ils sont seigneurs, maires, banquiers, diplomates, tacticiens… Ils sont partout. Lorsque la nuit tombe, leur force, leur agilité et leur vitesse décuplent et ils sont pratiquement inarrêtables. Ils sont tous de fins manipulateurs et aiment l’excès. Il m'a été peu donné de voir des légions aussi dépravées et licencieuses que les Vamnazûls. Les immondes désirs obscènes auxquels ils se livrent sont suffisants pour se donner envie d’en finir en tant qu’humain. J’imagine que, quand on est immortel, il n’y a plus de limites à l’immoralité. Pas tout à fait morte, pas tout à fait vivante, cette légion provoquera la fin du genre humain si sa population continue de croître. »