Journal de recherche d’Éloi Desgrams, chapitre 2, p. 97
« En Courbensaule, la mort a plusieurs significations. On peut dire que tout le monde est mort à l’intérieur. On peut dire qu’on espère mourir sans jamais avoir la mort qu’on mérite. On peut aussi dire que certains ont l’air plus morts que d’autres. Les Nécropolitains étaient jadis des humains, mais ils rejettent aujourd’hui toute analogie avec notre espèce. L’essence maudite de ces terres corrompues a affligé la légion des hommes en créant ces monstres. Ainsi, un matin, une femme a mis au monde un enfant, qui de jour en jour, s’est rapidement mis à se nécroser.
Les Nécropolitains sont des cadavres ambulants. Leur chair en décomposition et leurs os exposés sont une vision d’horreur impossible à ignorer. J’aurais cru que ces dépouilles sur pieds auraient été réduites en esclavage, comme nous, les humains. Mais il semble qu’au fur et à mesure que leur enveloppe se détériore, leur humanité en fait tout autant. Ils s’assombrissent, deviennent malveillants et antipathiques. Cette détérioration d’humanité leur a permis de se tailler une place de choix dans les sociétés de Courbensaule, car pour eux, la seule façon de survivre, c’est d’opprimer les autres.
Ces macchabées impitoyables trouvent souvent le rôle de chevaliers, chefs de guerre ou érudits. Ils font également de grands artistes, leur lien étroit avec la puissance des morts, leur permettant de créer de macabres chefs-d’œuvre, admirés de tous pour leur mélancolie. Les Nécropolitains se perçoivent comme l’évolution des humains. Une métamorphose réunissant leur corps avec la vision cauchemardesque de la grande Razel. Pour eux, nous sommes la sous-espèce. Ils disent qu’ils ne se sont jamais soumis, mais la vérité c’est que leurs corps ont payé le prix de la soumission. Leurs esprits se sont endurcis jusqu’à en devenir inébranlable.
J’ai rarement vu une légion aussi impitoyable et froide. J’ai cru d’ailleurs comprendre que leur corruption est telle que les Astres ont abandonné certains d’entre eux. J’imagine que c’est le prix à payer lorsqu’on vit si près de la mort. »