La Bureaucratie de la Mort
Journal de recherche d’Eloi Desgrames, chapitre 5, p. 400
Parmi les nombreuses recherches que ce journal contient, la bureaucratie de la mort fut de loin l’investigation la plus douloureuse que j’eut à faire, ayez pitié dans votre jugement lecteur de malheur. L’une des premières découvertes fut assez sommaire: ne meurt pas qui veut en Courbensaule! On vous renvoie dans ce monde maudit encore, et encore… et encore.
Je commença mes enquête sur la mort avec un premier suicide par pendaison. J’ai repris conscience au même endroit où je suis mort, sans aucun souvenir de ma visite au bureau des décès. La seule raison pour laquelle je me rappelais des circonstances de ma mort, est parce que je l’avais noté dans mon journal avant de sauter dans le vide la corde au cou. Puis vint un deuxième suicide par la lame de mon épée. Cette fois, un vague souvenir d’un frisson, un étrange couloir froid et flou, mais rien d’autre. De nombreuses autolyses plus tard, je pouvais tranquillement, mais sûrement décrire une espèce de file d’attente qui semblait durer une éternité. Des milliers de corps en rang suspendu dans le temps, attendant leur tour de passer au guichet dans un environnement glacial et austère, condamné à retourner dans ce monde de supplices et d’agonies. Pas moyen de me souvenir des conversations eues, ou de la façon dont j’étais décédé. Je compris donc que plus la mort vous trouvait souvent, plus vous accumulez des souvenirs de votre expérience chez les bureaucrates. Mais rien d’assez concret ou satisfaisant pour ce journal de recherche. Vous comprendrez chers lecteurs qu’après de nombreux suicides variés, l’imagination et le courage finirent par me manquer et je dû me résoudre à poser cette recherche sur la tablette afin de ne pas devenir complètement cinglé.